Bonjour David,
> From dlarousserie(a)sciences-et-avenir.com Tue Jan 20 10:43:18 2009
> Dear Boud Roukema,
>
> I am (always) journalist in France for Sciences et Avenir. I had contacted
> you in 2003 about the shape of the universe.
Oui, oui, je m'en souviens. :)
> I do not know if you are still involved in such topic. But I have to write
Tout à fait.
> (shortly) the story of this research and I need to upgrade my information.
> That's why I hope you could help me (Sorry to write in english because I do
> not remember if you speak french...).
En tant que Français expatrié, il serait dommage si j'oubliais
totalement la langue de Molière...
> Here are my questions.
> How could you summarize the state of the art concerning this topic ?
Les deux premières motivations empiriques pour l'hypothèse de l'espace
de Poincaré - le problème des fluctuations manquantes et la courbure
légèrement positive (Omega_totale = densité totale par rapport à la
densité critique = environ 1.01 ou 1.02 , plus ou moins 0.01 ou 0.02 -
sont devenues plutot renforcées qu'affaiblies. Or, si l'on trouvait
que Omega_totale = 1.002 +- 0.001, l'espace de Poincare serait rejeté
a une très haute signification statistique. Pour l'instant, nous sommes
très loin de là. Aussi, Caillerie et al. (dont JP Luminet) ont fait une
analyse semblable à leur première publiée dans Nature, mais avec beaucoup
plus de précision (plus de modes propres, des harmoniques de l'espace de
Poincaré), soutenant leur premier résultat.
En 2008, le groupe torunien [1] [2] a publié les résultats d'un
nouveau test de l'hypothèse de l'espace dodecaèdral de Poincaré, qui
étend le principe des cercles identifiés.
Un problème pratique du principe des cercles identifiés est que
l'analyse est sensible aux petites erreurs d'angle sur le ciel, aux
contaminations du signal sur les échelles relativement petites, ou
à d'autres effets mal compris sur les « petites » échelles. De plus, le
problème des fluctuations manquantes se voit sur les échelles
angulaires sur le fond diffus au-dessus de 60 degrés. Il est donc
raisonnable de chercher une méthode qui est moins sensible aux petites
échelles.
Le principe des cercles identifiés explique exactement quelles paires
de points sur le ciel devraient être, chacune, une paire de deux
images d'un seul point physique. L'extension de l'idée est de
considérer non seulement deux points sur le ciel correspondant à un
seul point physique, mais plutôt deux points sur le ciel qui
correspondent à deux points proches, sans être (en
général) identiques. Puisque deux points proches sont
(statistiquement) fortement corrélés et deux points lointains sont
(statistiquement) faiblement corrélés, l'on peut chercher des
orientations et tailles du dodecaèdre qui impliquent des ensembles de
paires de points, dont les deux membres de chaque paire sont
apparemment distants entre eux sur le ciel mais sont fortement
corrélés, comme si elles étaient réellement proches, l'une de l'autre.
Cette methode prédit deux choses pour l'hypothèse de l'espace
Poincaré. D'abord, il devrait exister une orientation et une taille
optimales qui donnent des hautes corrélations entre certains points
apparemment éloignées entre eux. Deuxièmement, en comparant les points
sur un côté du ciel avec l'autre, l'espace de Poincaré oblige qu'une
rotation de 36 degrés dans un sens ou l'autre soit appliquée. Or, si
l'on permet que la rotation ait une valeur arbitraire, l'on pourrait
attendre à ce que des corrélations par hasard favorisent un angle de
rotation quelconque, avec peu de chance qu'il soit proche de 36 degrés
ou -36 degres.
L'analyse des données de WMAP montre que les deux prédictions sont
confirmées : la meilleure position en coordonnées astronomiques
impique une relativement forte corrélation entre les points très
éloignés entre eux sur le ciel, et l'angle de rotation favorisé est 39
+- 2.5 degrés. L'hypothèse de l'espace de Poincaré n'a pas seulement
réussi au test, mais elle est devenue plus contrainte, puisque
maintenant nous argumentons que si l'hypothèse est la bonne, les
coordonnées de ses six axes devraient être à quelques degrés près
celles publiées dans nos articles de 2008 [1], [2]. Ces valeurs
changent très peu en analysant les différentes versions de la carte de
WMAP (ILC vs Tegmark et al.; avec ou sans masque pour cacher le plan
de notre Galaxie; données de 3 ans versus données de 5 ans).
Indépendamment, sur le côté théorique, où contrairement au lien entre
la relativité générale et la courbure, il n'existe pas de théorie
liant la topologie de l'Univers à une autre propriété physique, il y a
eu au moins un développement inattendu. Jusqu'ici, nous disions dans
la communauté de la topologie cosmique que la topologie de l'espace
n'avait aucun effet sur les équations d'Einstein. Or, dans un article
théorique du groupe torunien [3], nous avons montré qu'au moins dans
certaines conditions et en utilisant la limite de gravité faible
(newtonienne), la topologie peut bien avoir un effet sur la dynamique.
Résumé grand public très court : Imaginons que tu es proche d'un grand
amas de galaxies à ta « droite » qui t'attire par la force de gravité.
Puisque l'Univers est multi-connexe, il y a deux copies identiques de
cet amas, une lointaine à ta « gauche » et une lointaine à ta « droite ».
Ces deux copies aussi t'attirent vers eux, mais très faiblement.
Les distances à ces deux copies sont presque égales, parce que tu es
proche de la « première » copie de l'amas. Donc, ces deux tirements
faibles dans les deux directions opposées s'annulent - presque.
Pourtant, ils ne s'annulent pas totalement. L'amas « à gauche » est un
peu plus près parce que tu es un petit peu « à gauche » de la
« première » copie. La petite force qui reste après l'annulation des
attractions de ces deux copies distantes te tire, donc, vers la
gauche. Si tu étais encore un peu plus éloigné de la première copie,
cette petite force non-annulée serait un petit peu plus fort.
Ce qui est surprenant est non seulement que cette force résiduelle
existe, mais qu'elle est proportionnelle à ton déplacement par rapport
à l'amas de galaxies. C'est un comportement algébriquement semblable à
celui d'une constant cosmologique !
On ne peut pas pourtant en conclure que la constante cosmologique
soit un effet de la topologie de l'Univers - l'effet aujourd'hui
serait à peu près un milliard de fois trop faible. Mais il reste
très intéressant qu'un lien physique entre la topologie et la gravité
peut exister lorsque nous pensions qu'il n'y en avait pas, au moins
pas de façon si simple.
> When Plank will give data, will you try to test once again special topology
Tout probablement. :)
> or are you working on different topic ?
> Do you think that this data could solve the problem ?
La contrainte la plus intéressante de Planck serait à mon humble avis
celle sur la courbure de l'Univers obtenue en analysant ensemble les
cartes faites par Planck et les mesures des BAO (oscillations
acoustiques baryoniques, voir par exemple [5], lorsque le nom BAO
n'était pas encore utilisé) faites par le télescope SKA (Square Kilometre Array)
et des sondages profonds par exemple par un WFMOS (Wide-Field Multi-Object
Spectrograph) sur le VLT ou Subaru. Si l'on pourrait contraindre le
paramètre de densité totale à, par exemple, Omega_totale = 1.002 +- 0.001,
l'espace de Poincaré serait nettement réfuté, puisque avec les analyses
des groupes Luminet et al. et Aurich et al., et les nôtres, ce paramètre
doit forcément être au-dessus de 1.010 et plutôt serait vers 1.013 à 1.018.
> Are there another alternative exept the Poincare shape ?
Oui, mais les autres espaces de courbure positive valables ont des
propriétés de symmétrie moins belles que celles de l'espace de
Poincaré, et les espaces plats (par exemple, le tore) souffriraient de
l'argument (théorique/intuitif) de fine-tuning. Les jugements
subjectifs du rasoir d'Occam jouent un rôle ici - quels modèles sont
les plus simples ? L'espace de Poincaré est un espace plus simple et
symmétrique que plusieurs autres (dont l'espace euclidéen infini, puisque
l'infini n'est pas du tout simple).
> I think your last publication is compatible with such topology. Does someone
> else confirm these idea ?
> And on the contrary does someone criticize your work ?
J'imagine que tu parles de [1] et [2]. A ma connaissance, pour
l'instant personne autre que Ralf Aurich a essayé notre méthode
étendant le principe des cercles identifiés. Aurich l'a appliqué pour
le cas du tore, plutôt que pour l'espace de Poincaré.
> Could you remember the main motivation of such work please ?
Les motivations principales : (1) tester les prédictions de l'hypothèse de
l'espace dodecaèdral de Poincaré (voir au-dessus); et (2) rendre
l'hypothèse plus concrète en déterminant quelles devraient être ses
coordonnées astronomiques sur le ciel.
Bien amicalement,
boud
PS: Par souci de transparence médiatique, j'envois une copie de ce mél
vers la liste avec archives publiques :
http://cosmo.torun.pl/mailman/listinfo/cosmo-media
Bibliographie:
[1] Roukema et al. http://fr.arxiv.org/abs/0801.0006
2008, Astronomy & Astrophysics 486, 55
[2] Roukema et al. http://fr.arxiv.org/abs/0807.4260
2008, Astronomy & Astrophysics 492, 673
[3] Roukema et al. http://fr.arXiv.org/abs/astro-ph/0602159
2007, Astronomy & Astrophysics 463, 861
[4] Aurich http://arxiv.org/abs/0803.2130
2008, CQG, 25, 225017
[5] Roukema, Mamon, Bajtlik, http://fr.arXiv.org/abs/astro-ph/0106135
2002, Astronomy & Astrophysics 382, 387